Santé

Les sulfites dans le vin : amis ou ennemis ?

bouteille de vin sans sulfite

Selon de nombreux vignerons, le SO2 est essentiel pour la consistance et la qualité du vin, mais certains souhaitant les abandonner ont recours à des actions controversées. Les sulfites contenus dans le vin sont-ils dangereux ? Quels sont les effets sur les arômes et les saveurs lorsqu’on ne met pas de sulfites ? Nous vous donnons notre avis objectif…

Deux bouteilles se trouvent devant moi. Toutes deux sont des sauvignon blanc 2012 de Sepp Muster, un producteur biodynamique du sud de la Styrie, une région autrichienne, et proviennent de son vignoble Opok. Le goût est très différent : la première bouteille est incroyablement vivante, avec des arômes d’agrumes concentrés et une complexité séduisante. La seconde semble plus muette, plus proche de la citronnade que du citron.

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La différence entre les deux ne tient qu’à 10 mg de dioxyde de souffre (SO2), ajoutés après le deuxième soutirage. Muster n’essaie pas seulement de prouver quelque chose. Il fait partie d’une petite niche néanmoins grandissante de vignerons qui cherchent à réduire l’intervention et les additifs dans la production de vin jusqu’à ce qu’il n’y en ait pratiquement plus. Ce rejet du SO2, généralement utilisé pour empêcher l’oxydation et maîtriser les bactéries, est la dernière frontière dans cette quête. La plupart des producteurs conventionnels considèrent cela comme de la folie, cependant, dans les cercles de vin naturel, c’est une idée adorée comme le Saint Graal. Alors pourquoi ce sujet donne-t-il lieu à des opinions si divergentes ?

Les sulfites présents dans le vin sont-ils dangereux ?

Il va sans dire que le SO2 a mauvaise publicité au sein de l’opinion publique. Cela pourrait être dû en grande partie au laconique distique « contient des sulfites », qui doit légalement orner presque toutes les bouteilles de vin vendues aux Etats-Unis depuis 1988, et dans les pays de l’Union Européenne depuis 2005. Seules celles contenant moins de 10 parties par million (PPM) sont exemptées, et c’est là que le bât blesse. Le procédé de fermentation peut naturellement générer une quantité plus importante de SO2 sans en ajouter, ce qui signifie que même de nombreux vins « sans sulfites ajoutés » doivent afficher les mots de la discorde sur leur étiquette.

Cela signifie-t-il que les sulfites contenus dans le vin sont dangereux ? Probablement pas, du moins pas dans les minuscules quantités présentes dans nos vins modernes (généralement autour de 20 à 200 PPM). Pour comparer, une poignée de fruits secs peut contenir entre 500 et 3 000 PPM. Si en théorie cette quantité est capable de provoquer une réaction indésirable chez un asthmatique, cela est extrêmement rare : l’intolérance aux sulfites toucherait moins d’1 % de la population. Les sulfites ne sont à priori par non plus responsables de vos gueules de bois, comme l’affirme Andrew Waterhouse, professeur d’œnologie à l’UC Davis (Université de Californie à Davis) : « Aucune donnée résultant de recherches médicales n’a prouvé que les sulfites provoquent des maux de tête. »

Etant donné l’absence apparente de risques pour la santé, pourquoi les vignerons comme Muster veulent-ils à tout prix réduire leur utilisation de sulfite à un minimum, voire à zéro ? Malgré son utilité dans le ralentissement de l’oxydation et le fait qu’il élimine des bactéries néfastes, certains pensent que le SO2 atténue aussi les délicates nuances propres à la cuvée ou au vignoble, comme Muster me l’a si bien prouvé durant notre dégustation.

La pureté du vin

Franz Strohmeier, un autre vigneron du sud de la Styrie a également opté pour des vins sans SO2 ajouté. Il explique : « Lorsque nous avons acheté un autre vignoble, j’ai trouvé une grande quantité de bouteilles que les précédents propriétaires avaient laissées dans le chai. Nous les avons goûtées et j’ai adoré leur complexité, la singularité des saveurs de ces vieux vins. J’ai l’impression que lorsqu’on ne met pas de sulfites, ce caractère est bien plus fort, même dans les vins jeunes. »

La pureté est l’objectif ultime pour de nombreux producteurs qui ont dit non aux sulfites. Alaverdi Monastery, qui vient de la région de Kakhétie en Géorgie aspire simplement à faire un vin « assez bon pour Dieu ». Aux yeux des moines, tout additif, y compris le SO2, rendrait le vin impur, et par conséquent, inutile. Le Belge Frank Cornelissen, qui produit du vin sur les flancs du Mont Etna en Sicile depuis 2000, aspire lui aussi à faire un vin tout simplement « sans rien ajouté ». Son exigence n’a rien de spirituel, elle se base sur la conviction qu’un bon vin peut tout à fait se passer d’additifs. Cornelissen considère que la connaissance de la production de vins sans sulfites s’est juste perdue au fil du temps : « Nous devons réapprendre ces techniques, ce qui prendra du temps. »

Isabelle Legeron MW est du même avis : « Les producteurs sont encore en train d’apprendre à faire du vin sans sulfite ajouté, ils n’ont qu’une chance par an ! Peut-être est-ce mieux si le producteur réduit graduellement le SO2 chaque année, plutôt que d’essayer de produire tout de suite un vin sans sulfite. »

Comprendre les vins naturels

Les défis du vin sans sulfite

Cela implique des défis. Lorsqu’on renonce à apporter des sulfites, le risque d’infections bactériennes ou micro bactériennes augmente largement. Ils doivent être remplacés par une hygiène méticuleuse. Cornelissen utilise de l’air ionisé pour nettoyer sa cave. Une attitude davantage libérale est nécessaire pour ce qui est de la vitesse de fermentation et des levures qui seront utilisées. Conventionnellement, le SO2 serait utilisé pour repousser les levures sauvages sur les fleurs des vignes, pour que le vigneron puisse les vacciner avec les levures de culture de son choix.

Les levures : savez-vous ce qui donne son goût à votre vin ?

La sévérité des effets indésirables est variable. Les vins produits sans SO2 ont des arômes légèrement plus sauvages, plus « malodorants », qui déclenchent la même réaction d’amour et de haine qu’un fromage mûr et puant. Le « goût de souris » est un autre problème, la malédiction du vigneron « zéro-sulfite », cette touche finale sauvage caractéristique est indétectable à l’odeur, mais accroche au palais et peut facilement rendre un vin imbuvable. Si on le méprenait avant pour des brettanomyces, on reconnaît maintenant ce goût comme un problème complètement indépendant.

Le comment et le pourquoi du goût de souris n’est toujours que partiellement compris, comme l’explique le scientifique Geoff Taylor, de l’entreprise Campden BRI, spécialisée dans la recherche et développement pour l’industrie alimentaire et des boissons : « A ma connaissance, très peu de recherches ont été faites associant le problème et le composant. » Il clarifie : « Les bactéries lactiques peuvent rester inactives pendant des années et lorsque les conditions le permettent (quantité suffisamment faible de SO2 libre, chaleur), elles se développeront. Et leur croissance est lente. » Le risque est accentué par une mauvaise hygiène de la cave ou des raisins en mauvais état. Comme le sous-entend Taylor, cela peut sévèrement altérer la bouteille, un autre facteur difficile à expliquer aux buveurs de vin habitués à des vins plus consistants, produits de façon industrielle.

Les producteurs qui travaillent selon ce mode extrême ont tendance à être petits, artisanaux, et plus ou moins regroupés sous l’étiquette « vin naturel ». Il y a des attentes. Le chai Stellar Winery, dans la région de Western Cape en Afrique du Sud est un producteur à grande échelle qui a réussi à introduire une gamme de vins sans sulfite dans les supermarchés britanniques en 2008. La production de vin sans sulfite existe depuis bien plus longtemps. Jules Chauvet et Jacques Néauport, largement salués comme les parrains du mouvement du vin naturel, ont commencé à faire des expériences dans le Beaujolais dans les années 1980.

Il est certain que faire du vin sans ajouter aucun sulfite est un numéro d’équilibriste. Les producteurs qui réussissent sont souvent ceux qui bénéficient d’une grande expérience. Les résultats peuvent être époustouflants tant dans leur clarté que dans leur caractère, mais pour la plupart des vignerons, le côté imprévisible et les risques d’altération ou d’instabilité sont tout simplement trop importants. Gardez cependant un œil sur ceux qui repoussent les limites, leurs vins pourraient bien vous surprendre.

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